Pour le Parlement européen, l’intelligence artificielle représente tout outil utilisé par une machine afin de “reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité“.
 


Alors l’IA peut-elle reproduire les comportements humains dans le suivi de l’exécution des contrats ?


Entre promesses marketing, fantasmes et réalités, il est nécessaire de faire le point.

 

 

Que rêverions-nous que l’IA puisse faire pour le suivi de l’exécution des contrats ?


Si tout était possible, l’IA idéale en matière de suivi des contrats serait celle qui mettrait notamment à disposition des humains que nous sommes : 

 

  • une assistance complète à la rédaction du contrat tant en termes de conformité qu’au regard des best practices du secteur concerné

     

  • une prédiction fiable de la performance du contrat dès sa signature

     

  • une analyse des possibles risques liés à l’exécution du contrat et les recommandations des actions correctives à adopter en cours d’exécution

     

  • des propositions d’amélioration des process contractuels internes de l’entreprise

     

  • un suivi automatisé des documents dans le temps avec préconisation des adaptations / corrections nécessaires au regard des dernières évolutions législatives, jurisprudentielles et des données contextuelles propres au dossier

     

  • une surveillance de l’exécution du contrat via un système informatique qui réunirait toutes les données (approvisionnements, commandes, facturation, paiements, etc…)

     

  • un enregistrement et une analyse en temps réel de toutes les données impactant l’exécution du contrat (cours du dollars, blocage du canal de Suez, absence des salariés, grèves, catastrophes naturelles, etc…)

     

  • une évaluation de la qualité des prestations fournies par les co-contractants.
 La situation actuelle n’est pas celle-ci, et pour y parvenir, il va falloir dépasser l’effet de mode pour entrer dans une véritable analyse juridique, si cela est possible….
 

 

Aujourd’hui, quelles sont les fonctionnalités clés disponibles en matière de suivi de l’exécution des contrats par l’IA ?

Fonctionnalités clés de l'IA dans le suivi de l'exécution des contrats


L’intelligence artificielle fonctionne aujourd’hui sur la base d’algorithmes cherchant à reproduire un raisonnement humain. Ce résultat reste néanmoins encore très éloigné et ces algorithmes demeurent des programmes qui parviennent, sur la base des milliards de données dont ils sont nourris, à digérer des suites de chiffres et de lettres pour restituer, sur la base d’une analyse de probabilité, des données organisées.

 

Dans ce cadre, l’IA permet aujourd’hui d’obtenir les résultats suivants :

  1. Simplification de la rédaction des contrats via des clausiers et des contrathèques
  1. Simplification de la signature des contrats via des outils de signature en ligne sécurisés
  1. Simplification de la gestion documentaire par un meilleur suivi des contrats
  1. Génération de synthèses et de rapports sur les obligations contractuelles
  1. Suivi des délais ou des livrables prévus par le contrat
  • Prélèvement de dates et d’obligations clés (notamment sur le renouvellement du contrat et les délais de préavis, les documents à produire et les délais dans lesquels ils doivent être produits, etc.)
  • Mise en place d’alarmes concernant ces dates et permettant un suivi plus sécurisé des obligations contractuelles
  1. Analyse des documents
  • Vérification de la présence des clauses habituelles
  • Signalement de l’absence d’une clause ou de mentions obligatoires
  1. Présentation de données statistiques et des risques théoriques
  • Information sur les problèmes les plus courants dans l’exécution des contrats
  • Prédictions sur l’issue d’un litige : on parle désormais plus de “mesure” et de probabilités que de “prédiction”
  1. Simplification des recherches, notamment sur les difficultés d’exécution des contrats, et assistance des utilisateurs dans leurs recherches
  • Assistance aux recherches juridiques (éditeurs)
  • Réponse aux questions des parties prenantes en temps réel concernant l’exécution du contrat (Chatbots et Assistants Virtuels / IA)
  1. Participation à une exécution plus efficace du contrat
  • Transmission automatique de données à la partie adverse : l’IA peut gérer automatiquement des obligations de transmission d’informations incluses dans les contrats ; on pourrait concevoir qu’à terme l’exécution de certaines obligations contractuelles ne relèvent plus de l’intervention des parties mais soient automatisées, sans que les parties puissent, de ce fait, s’opposer en cours de contrat à l’exécution de ces obligations. Ces automatisations, si elles se généralisent, auront certainement un impact important à terme sur la rédaction du contrat, et notamment, à titre d’exemple, sur les clauses pénales : ces clauses pénales resteront-elles pertinentes pour les obligations dont l’exécution sera automatisée et comment leur caractère excessif sera-t-il apprécié à l’ère de l’intelligence artificielle ?
  • Smart contrats et indemnisation via la sécurité de la blockchain : ces smarts contrats impactent notamment les contrats d’assurance : en s’appuyant sur la sécurité conférée par la blockchain, les algorithmes valident en effet en temps réel la présence des conditions nécessaires à l’indemnisation et peuvent initier automatiquement le règlement de cette indemnisation.

Le gain de temps, de productivité et de sécurité associé à l’utilisation de l’IA dans l’exécution des contrats est indéniable, au regard de la puissance des algorithmes utilisés qui surpassent les capacités humaines.

Ces résultats s’inscrivent dans une tendance plus large où l’intelligence artificielle est déployée pour rationaliser les opérations juridiques et administratives, améliorer l’efficacité, tout en garantissant la conformité et la réduction des risques. Ces initiatives rencontreront probablement des défis liés à la confidentialité et aux réglementations, mais elles représentent une avancée significative vers une gestion plus intelligente et plus efficace des contrats.

Quels sont les outils disponibles ?


De nombreux outils permettent aujourd’hui d’obtenir les résultats visés ci-dessus, et dans le domaine du suivi des contrats, on citera notamment, sans pouvoir être exhaustif :

Pour autant, l’IA se heurte (encore?) à certaines limites importantes et nous sommes loin d’une intelligence artificielle capable de générer les résultats fantasmés présentés dans la première partie de cet article.

Les capacités d’ingestion de données immense de ces outils, l’organisation de ces données et les synthèses produites donnent l’apparence d’une production et d’un raisonnement, mais il n’en est en réalité rien.

 

Quelles sont les limites actuelles de l’IA dans le suivi des contrats et de leur exécution ?

 

Ces limites sont en réalité celles qui affectent toutes les activités de l’IA, indépendamment du point précis du suivi de l’exécution des contrats. Ces limites sont les suivantes :

  • Une IA ne fait pas d’explication et de création

Une IA travaille sur des données qu’elle reproduit mais qu’elle n’explique pas. Elle ne fait pas œuvre d’analyse pour pouvoir expliquer les données qu’elle transmet. Elle est incapable de donner une explication ou de faire preuve d’une réelle analyse si elle n’a pas été nourrie de données sur le sujet et ne fait que reproduire des “explications”, des statistiques ou des “probabilités” qui lui ont d’ores et déjà été transmises et qu’elle synthétise. 

Exemple de requête sur une Intelligence artificielle : 


Ne faisant pas, par elle-même, œuvre de création, elle peut néanmoins synthétiser des œuvres, qui peuvent donner l’illusion de la création, posant par ailleurs d’importants problèmes de droits d’auteurs. C’est également la raison pour laquelle les “créations” de l’IA ne sont pas protégées par des droits de protection intellectuelle.

 

  • Une IA n’analyse pas une situation juridique au regard de son contexte

L’IA n’est pas dotée de subjectivité et d’intentionnalité, elle ne fait donc pas œuvre d’analyse d’un contexte global et d’adaptation de ses réponses à ce contexte.

Les créateurs d’IA luttent d’ailleurs en l’état contre toute subjectivité dont pourrait faire preuve une IA. Les réponses produites restent donc en l’état objectives, uniformes et générales, ce qui limite drastiquement leur intérêt pour les juristes.

 

  • Une IA ne dispose pas de certaines capacités

Elle ne  dispose pas de la possibilité d’intégrer à son “raisonnement” un contexte non verbal, un ressenti, une intuition, des données inconscientes, une connaissance personnelle du client auquel elle s’adresse pour adapter ses réponses à un client en particulier.

 

Défis et Enjeux

 

Indépendamment des limites actuelles de l’IA en termes de “raisonnement”, l’utilisation au quotidien du l’IA posent certaines questions, éthiques, sociétales ou autres, et nécessitent que soient relevés certains défis :


1.
Modification des méthodes de travail

  • résistance importante d’une grande partie des juristes au changement des méthodes de travail 
  • résistance renforcée par un certain scepticisme de ces professions sur l’avenir de l’IA 
  • interopérabilité : l’intégration des solutions d’IA dans les systèmes, logiciels de gestion de cabinets et processus juridiques existants pose des défis techniques importants, nécessitant des ajustements conséquents 
  1. Compétences techniques des utilisateurs, dépendance à la technologie et à l’énergie
  • la question du recrutement d’informaticiens formés à l’IA par les professionnels du droit va rapidement devenir un sujet, s’il ne l’est pas déjà 
  • l’impact énergétique et environnemental de ces solutions d’IA pose des problèmes éthiques et sociétaux
  1. Coût d’implémentation et de sécurisation des données
  • la mise en place de systèmes d’IA demande un investissement initial important pour le développement, la formation et l’intégration avec les systèmes existants. Les petites entreprises peuvent avoir des difficultés à supporter ces coûts, ce qui peut creuser les inégalités d’accès à la technologie 
  • la conformité des systèmes au RGPD et la sécurité des données génèrent également des coûts importants pour les professionnels. 
  1. Formation des juristes et préservation de leurs capacités d’analyse et d’esprit critique
  • nécessité pour les juristes de se former pour s’approprier l’IA et tirer parti pleinement des outils d’IA (à commencer par les Prompts) ; de nombreux professionnels du droit ne sont pas formés à l’utilisation de l’IA ou à l’analyse de données, ce qui limite leur capacité à tirer parti de ces outils ; la formation sera cruciale mais requière des ressources financières et temporelles 
  • nécessité pour les juristes de conserver leur capacité d’analyse et d’esprit critique pour détecter les biais et hallucinations de l’IA, car en l’état, aucune IA n’est fiable à 100 % et nombreuses sont celles qui ne fournissent pas leurs sources, rendant le contrôle de leurs productions plus compliqué 
  • question de la perte de compétences et du transfert décisionnel, ouvrant le débat sur la responsabilité des utilisateurs de l’IA et de l’IA elle-même 

 5. Gestion des biais et hallucinations

  • la nécessaire vérification des données générées par l’IA limite en l’état les gains de productivité annoncés

     

  • le choix de la bonne IA : les contrats publics ne sont pas nécessairement révélateurs et appropriés à l’analyse de contrats de droit privé : il y aura donc des risques d’hallucination accrus su les bases de données n’intègrent pas les données adéquates et si les utilisateurs ne portent pas une attention soutenue au choix de l’intelligence artificielle à laquelle ils ont recours en s’assurant que celle-ci a été nourrie des données adaptées à sa recherche 
  1. Qualité et disponibilité des données
  • de nombreuses IA sont développés par des opérateurs implantés dans des pays anglo-saxons, qui nourrissent essentiellement leurs IA avec des données de common law et les testent sur des “raisonnements” issus de la pratique locale ; ces données présentent une qualité moindre dans les régions de civil law

     

  • les données historiques peuvent être absentes ou être non représentatives du contexte actuel, ce qui peut conduire à des biais
     
  • les contrats comprennent souvent des informations sensibles et stratégiques, qu’il s’agisse de données personnelles ou de secrets d’affaires ; le défi majeur à relever pour les IA sera celui de l’accès à l’information, protégée pour des raisons de confidentialité et par la nécessité pour les cabinets de sauvegarder leur savoir-faire ; ce sujet soulève de vrais enjeux d’intelligence économique ; certaines données contractuelles françaises sont disponibles en open data (notamment des contrats passés par des entités publiques), et certains fournisseurs d’accès proposent déjà de réutiliser des masses de données contractuelles pour entraîner l’IA, mais ces données sont loin de données une image complète du droit des contrats français et des best practices de nos juristes 
  1. Confidentialité 
  • solutions de CLM (Contract Lifecycle Management) : ces solutions permettront aux cabinets de créer leur propre base de données, en la nourrissant de leurs propres contrats et de leur propre expérience et savoir-faire ; cette solution ne leur permettra toutefois pas d’élargir le cercle des données utilisées au-delà de leur propre cabinet et de bénéficier d’une expertise plus large. Les enjeux de disponibilité et de protection des données contractuelles seront donc majeurs pour le développement d’IA efficaces
  • initiatives en cours en vue de la création d’espaces communs de données juridiques pour mutualiser les savoir-faire tout en préservant la confidentialité, dans le cadre des réglementations européennes applicables sur le territoire
    Pour en savoir plus, cliquez ici.
     
  1. Périmètre du droit

L’objectif du CNB est de protéger les consommateurs du droit en évitant l’utilisation intempestive d’outils sans avocats.

Pour en savoir plus, consultez l’article du Village de la Justice en cliquant ici

Conclusion

 

L’intégration de l’IA dans la gestion des contrats offre de nombreuses opportunités pour améliorer l’efficacité et la réactivité. Toutefois, elle doit être abordée avec prudence et une compréhension claire des défis éthiques et juridiques qui l’accompagnent.

Si on fait le parallèle avec la justice prédictive des années 2010, on peut penser que les ambitions affichées seront largement tempérées à l’avenir, notamment par la persistance des biais et hallucinations qui pourraient s’avérer impossible à dépasser. 

L’analyse au sens qui lui est donné par notre cerveau humain n’est pour l’instant pas à la portée de la machine et les juristes ne seront pas remplacés dans l’immédiat, ou prochainement, par l’IA dans le suivi de l’exécution des contrats. 

Un support au travail des juristes oui, une alternative aux juristes, non !

 

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